Les amalgames
À l'occasion de la déposition de Ghaleb Bencheikh à l'assemblée nationale (1), quelques commentaires sur le très gluant et ambigu musulman.
D'abord la tendance déplaisante et au combien du monsieur à l'allusif name dropping prétentieux et à la confusion des termes, voire à l'enfumage vicieux.
Sur la mention de l'exigence des oulémas algériens des années 30 de voir appliquer la loi de 1905: il s'agissait pour eux de rétablir leur autorité religieuse et pourquoi pas étatique face au colonisateur qui en prudent dominateur, contrôlait et nommait l'infrastructure religieuse qu'il savait bien influente sur les populations colonisées... Qui plus est ces oulémas étaient influencés par les "réformateurs" (Rida, Abdu) c'est à dire par les fondateurs de l'islamisme moderne, les frères musulmans ayant commencé en 1928. De quoi alimenter encore l'influence méconnue de l'islamisme au sens strict sur la guerre d'indépendance, les oulémas algériens ayant en fait pris parti et motivé l'"indépendance".
Islamisme
Au passage, le monsieur définit "l'islamisme", après le sempiternel rappel de l'inocuité du mot, (c'est le but de la manoeuvre réthorique ) utilisé par Caratini ("le génie de l'islamisme") comme l'était "christianisme" et transformé en terme négatif lorsqu'on utilisa l'expression "islamisme radical" (Bruno Etienne) qui se transforma en "islamisme" plus tard... Le monsieur se réfugie alors derrière la dichotomie Islam/islam, celle de Rémi Brague, par ailleurs bien connue, et qui permet de réunifier l'islam, au passage...
Revenons à "islamisme" défini donc par "idéologisation de préceptes autres que spirituels aux fins d'un projet politique". On complète la définition par "discours alternatifs puisés dans la tradition islamique, sirènes qui attirent notre "jeunesse française". On voit là l'amorce du fond du message du monsieur: l'islam est en France, et il faut, il le dit clairement un contre discours pour aider les "jeunes français" à s'intégrer. Le thème revient plusieurs fois et se trouve être le message, en fait triple, dont un, subliminal, rien moins que menaçant.
D'abord des jeunes qui peuvent être séduits par les sirènes islamistes (voilà la menace) ne sont pas français par définition et cela contrairement à ce qu'affirme un peu vite le monsieur comme si c'était fait. Largement binationaux, on peut les déchoir de leur nationalité et les renvoyer à leurs origines. C'est la fameuse "tenaille" identitaire, qui veut rendre équivalentes les identités française de souche et les identités colonisées algériennes. Et faire un compromis en atténuant simultanément les deux ?
Issus de l'immigration au point de pouvoir, si on ne prend pas soin d'eux, verser dans le pire des fanatismes allogènes, en fait des ennemis à priori, et c'est ce que rejette à priori le monsieur. Voilà le drame. Et le remède, c'est le 3ème point, est qu'il faut un islam "gentil" pour amadouer tout cela.
Adepte d'un soufisme mou qui prône ouvertement et ici même une sorte de réforme, le monsieur qui pourtant avait accueilli lors d'une inauguration en France un hiérarque saoudien responsable de l'OCI et ministre de la justice fouetteur de dissidents, nous sert le fameux congrès de Grozny en 2016 quand, à l'initiative russe, on déclara les wahhabisme/salafismes comme sectaires. Al Azar, présent, atténua la chose auprès de Riyad, bien sûr. On a ici une sorte d'ambiguïté: dire qu'à Grozny, on déclara le salafisme comme sectaire, est ce dit pour séduire le blanc ou pour regretter qu'on l'ait fait?
Les chantiers
On veut donc ouvrir des "chantiers théologiques". Les buts à atteindre montrent la vraie nature de la situation actuelle. Il s'agirait donc d'abord de désacraliser la violence et de mettre au clair le djihad, et aussi de séparer croyance et connaissance pour permettre une vraie herméneutique (tant qu'à faire). Il y a aussi la formation d'imams éclairés, compétents courageux, la désintrication religion et politique, l'égalité entre les humains, la liberté d'expression et de croyance, l'Etat de droit. Tout cela est un travail "titanesque" à mener (...)
Qui plus est, ces chantiers ne sont possibles qu'en Europe, où règne la liberté. Liberté qui permet aux musulmans de s'affranchir de l'expression à refuser qui est le "respect des valeurs de la république": soit on respecte la loi, soit non et c'est tout... Cela naturellement avant que les fameux chantiers soient terminés. En attendant, on doit se coltiner un islam menaçant laissé aux fanatiques qui endoctrinent une jeunesse fragile avec une violence politique d'essence religieuse et une confusion entre savoir et croyance. Et surtout, ce qui est radicalement contradictoire, conserver une estime globale pour quelque chose qui est à revoir de fond en comble et dont l'état actuel est responsable de toutes ces ignominies.
Pour ce qui concerne la théologie, le monsieur a de l'ambition, et dans (2) on trouve des choses assez extraordinaires, qui me semble-t-il n'ont pas encore reçu l'approbation de tous les musulmans... En gros, sous le vocable comique de la volonté de guérir de la "sclérose en place" (l'ironie manifestée ici s'applique-t-elle aux propositions faites?):
- considérer que la partie prescriptive de la révélation n'est que jurisprudence du VIIème siècle arabe
- déjuridiser la révélation (encore mieux)
- admettre l'égalité ontologique entre homme et femme
- désacraliser la violence
La politique
Pour ce qui concerne les frères, et le fameux rapport, et bien une seule et brève réponse (brièveté à la hauteur des interminables laïus qui ont précédé): les frères musulmans se sont "délités", ils ont vieilli, et il n'y a plus rien de comparable aux rassemblements du Bourget d'antan. Point barre.
Pour ce qui concerne la France Insoumise, pour qui votent en majorité les musulmans, la raison en est simple: ils sont les seuls qui ne les insultent pas !!! L'affirmation, et l'explication est lumineuse, mais hélas infamante pour le monsieur, qui se lance alors dans une véhémente contestation du mot "islamo-gauchisme" qu'il considère (mazette) non scientifique et contraire au bon sens...
Le parti Reconquête, le RN, insultent les musulmans, selon lui, et comble du comble, au sujet du voile, dont il se réclame ennemi (la chose n'est apparue qu'après 1979), un ministre de l'intérieur a dit, alors que ce n'était pas son rôle, "à bas le voile". Gluant? En effet. Se prononcer contre le voile sans être musulman c'est perturber des discussions théologiques argumentées, et ... à venir !
L'islamophobie
Et puis, il y a l'islamophobie. Là, le radical "islamo" n'est plus gênant et le monsieur nous sert la défense classique frériste sur le mot, alliance de la révocation de l'interprétation comme création des khomeinistes (le mot fut utilisé intensivement par eux, et cela suffit) et de l'attribution du mot à la France de 1910 (qui voulait éviter qu'on donne des droits républicains aux indigènes mieux gérés, à moins qu'on soit islamophobe, par les coutumes religieuses, mais il ne le précise pas). Et puis le laïus sur les bénéfices de la critique de l'islam, les musulmans étant même "demandeurs" nous plonge dans le malaise hilarant, comme s'il s'était mis torse nu en hurlant "nike ta mère"...
Le monsieur se lance alors dans la proposition d'un autre mot, "misislamie" (haine de l'islam) qui serait l'hostilité aux musulmans et à tout ce qui est islamique, et qui serait puni par la loi... L'imprécation contre la religion ET ses adeptes.
Très exactement la fonction de "islamophobie", racisme anti musulmans permettant de fermer les portes de la détestation de la vérole islamique, sous le prétexte qu'on ne peut mépriser en public ce qui est respecté par certains. Précisément ce qu'on veut dénoncer : l'association identitaire entre le musulman et le putain de texte dégénéré qu'il révère à tort.
Personne physiquement désagréable, et laissant un sentiment d'hypocrisie agressive et prétentieuse, Ghaleb Bencheikh succéda à Jean Pierre Chevènement à la tête du FIF (Forum de l'Islam de France ). Il est membre du FORIF (le successeur du CFCM qui ne fait ... rien, le règlement de compte est sanglant) et voyage... Il ne représente rien et pérore pour masquer l'effrayante nocivité de la religion invasive du tiers mode qui vérole coeurs et esprits et se fait instrumentalisée par les pires fanatiques auxquels personne ne s'oppose vraiment et surtout pas lui, son rôle étant de continuer par étalage de sa fausse culture, à garder respectable cette pourriture.
Car le message de respectabilité islamique de Bencheikh est aussi un plaidoyer pour l'intégration des citoyens discriminés (pourtant d'après lui-même à juste titre, vu leur arriération à corriger qu'il reconnait et affirme) de l'immigration et là est sans doute le fond de sa vocation inquiète.
(1) Ghaleb Bencheikh https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/videos/CRVANR5L17S2026IDV17521416?timeCode=599
(2) On a lu aussi "le petit manuel pour un islam à l'usage des hommes"