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Les lignes rouges de Poutine

On a beaucoup parlé de ces fameuses "lignes rouges" que "Poutine" (l'être malfaisant et irrationnel qui tyrannise la barbarie russe) était incapable de faire respecter. Je voudrais revenir sur la vraie signification de ce concept, et de la manière dont il se traduit dans la réalité. 

Tout d'abord, il pourrait avoir des niveaux suivant l'importance du domaine soumis à la "ligne". L'escalade dans le caractère offensif des armes fournies à l'Ukraine depuis les gilets pare balles jusqu'aux chars de combat, la ligne rouge se situant entre les deux n'est pas la même chose que l'intention manifeste de faire entrer l'Ukraine dans l'OTAN, ou mieux de la laisser se doter d'armes nucléaires.

D'autre part, la ligne est posée par quelqu'un. Personne en Russie n'a menacé qui que ce soit à la suite de l'annonce de la livraison des chars: la ligne fut ici posée par ceux qui ont l'intention de la franchir. D'abord timides, et ne voulant pas se trouver en cobelligerance, les occidentaux en ordre dispersé ont brisé tour à tour les limites qu'ils se donnaient à eux mêmes. Au passage, les franchissements successifs furent accidentels, voire spasmodiques l'escalade se produisant au sein d'une curieuse danse mimétique, le psychodrame des léopards, d'abord dit devoir suivre les abrams américains, puis amorcés par l'annonce de la livraison des amx 10 français, enfin confirmés par les américains qui savaient très bien ne pouvoir le faire que dans longtemps, décidèrent les Allemands bien timorés mais qui se rattrapent finalement. 

Le rouge des lignes devraient plutôt monter au front de ces décideurs pusillanimes et bavards, incertains et vantards et surtout affreusement vicieux derrière le respect des lignes rouges communicatives qu'ils fixent devant leurs opinions publiques, seules choses dont ils ont peur... 

 Dans ce monde d'enfants débiles, les positions russes semblent être celles d'adultes rationnels motivés par l'évidence mais dont le langage pourtant clair n'est pas compris. Car au-delà de la communication, il y a la compréhension, et c'est l'essentiel des situations et de leurs complexités. Une "communication" suppose un monde commun pré-établi ou instauré de forces par une partie. Ce qui explique les postures et les décisions est clair, cela est sûr, mais suppose que le communiqué soit lié par les obligations respectées ou imposées par le communiquant. 

Un exemple simple est le cours de sensibilisation aux transgenres mené à l'école. Il est annoncé et décrit (comme une "priorité" d'ailleurs, dixit Pap Ndiaye) dans le cadre d'un contexte sensible supposé partagé (réflexions théoriques sur la question menées par des communautés considérées, intérêt intellectuel et politique etc). La communication du ministre, visant à se rapprocher empathiquement d'un peuple de concernés à qui il manifeste son soutien est AUSSI une menace physique décernée envers ceux qui oublieux de l'importance du sujet pourrait ne pas en comprendre l'intérêt, l'ignorer ou pire, lutter contre. La complète incrédulité que l'on peut éprouver envers la démarche du ministre, pourrait se muer en agressivité, voire en explosion homophobe raciste contre l'épouvantable, stupide et inappropriée priorité dont un ministre incompétent, veule et incapable veut accabler la tâche qu'il déshonore. Cela n'enlève rien à sa démarche qui n'est que pure communication... 

Pour ce qui concerne Poutine, revenons à l'histoire du Maidan. Ce qu'on ignore ou néglige est que quelques heures seulement séparent la signature d'accords entre l'opposition (dont Klichko le boxeur) et le président Ianoukovytch,  signés sous l'égide des ministres français et allemands et l'éviction du président par la force, ce qui survient peu après son départ physique de Kiev. On a bien eu un coup d'Etat fomenté (1) avec prise de la présidence en l'absence du président. Un ministre russe avait paraphé l'accord le vendredi soir, et le coup eut lieu le samedi. Les européens avaient quitté Kiev, au lieu de suivre l'évolution de la situation. Trahi et roulé dans la farine, il faut le dire, Poutine déclenche alors l'opération en Crimée le jeudi suivant, ce qui initie le désaccord fondamental entre Occident et Russie et dont la situation actuelle dérive directement. Une ligne rouge avait été franchie, et la conséquence immédiate. Ignoré et traduit comme agression gratuite, ce franchissement n'avait pas été anticipé, et son succès fut total.  

On doit ajouter le rôle explicite pro opposition des américains, Victoria Nuland à la manoeuvre pendant tout le drame. De fait la ligne rouge (une négociation explicite entre USA et Russie à travers les péripéties du Maidan) était en place. L'influence directe de Nuland dans la nomination du gouvernement factieux ukrainien (c'est à cette occasion qu'elle refusa de consulter les européens sur ce sujet avec le fameux "fuck the european"), illustre la chose, évidement perçue et observée par les Russes, d'autant plus partie prenante que le Maidan fut précisément provoqué par une préférence pro russe de Ianoukovitch contestée par l'opposition ukrainienne. 

On voit ici que la notion de ligne rouge a en fait deux faces: la franchir permet une action, et qui n'est pas forcément mise en avant ou explicitée avant le franchissement. La conséquence d'une violation d'un accord implicite est une violation symétrique implicite du même type, dont le caractère de surprise accentue la violence de rétorsion. 

La suite de l'histoire, c'est-à-dire le succès complet de l'annexion de la Crimée et ensuite les succès militaires au Donbass, qui furent effectués avec une prudence de loup illustrent encore les notions de "ligne rouge". 

La conquête de la Crimée pourtant menée sans effusion de sang, avec un référendum quasiment légal (il fallait l'accord de l'Ukraine mais bon) fut un chef-d'œuvre, consacrant une défaite politique majeure des USA dans la gestion du Maidan. Sébastopol échappait pour toujours à l'Occident ! Répondant avec une force et une habileté confondante à une agression américaine caractérisée dans le pré carré russe, elle fut aussi le franchissement d'une ligne rouge qui concernait les néo cons américains, maintenant engagés dans une guerre à mort en Ukraine: maitre de gouvernements "pro européens" (en fait directement soumis à la corruption américaine, les européens déconsidérés par la violation que l'on fit de leur diplomatie de toute façon déjà entièrement sous contrôle, ne comptant plus pour rien) leur objectif devint de mettre à exécution la désormais inéluctable entrée de l'Ukraine dans l'OTAN, quitte à prendre le risque de démarrer le projet de reprendre la Crimée, dont le caractère russe fut refusé par tout le monde. Le grand jeu. On initia la formation de l'armée Ukrainienne de fait intégrée au système militaire de l'OTAN. 

Poutine sur ce plan la fit en souplesse, multipliant les amabilités avec pour objectif de "faire passer la pilule", ce qu'il réussit partiellement à faire, les sanctions maintenues (dont il profita à fond pour autonomiser économiquement la Russie au maximum et cela avec un succès qui le conforta lui et son économie) devenant avec le temps bénignes, voire humiliantes (on pense à la France qui perdit 1 milliard à traduire en arabe les manuels rédigés en russe des mistrals revendus à pas cher à l'Egypte, et qui permit avec les pertes sèches qu'elle subit en exportations agricoles, de rendre la Russie exportatrice de viande de porc et aussi numéro un du blé au monde).

Et puis il y eut l'affaire du Donbass. L'interdiction du Russe comme langue administrative en Ukraine servit de ligne rouge dépassée pour les autonomistes russophones qui précipitèrent leur prise d'indépendance et donc les violences en rapport; pourtant Poutine resta extérieur, tout en fournissant en conseils, en armes et en interventions qui réussirent à rester discrètes: il se refusa à franchir une ligne rouge, se contentant de digérer la Crimée derrière des accords dit de Minsk, qui prévoyait une autonomie en Ukraine des fameuses régions séparatistes. L'Ukraine devait rester intègre avec la réalisation, (pourtant manifestement violée en permanence)  à moyen terme des accords, l'Allemagne et la France ayant intérêt à garantir cette paix-là, gage de leur reprise d'indépendance vis-à-vis d'une Amérique envahissante... 

Cette ligne rouge là fut violé d'abord implicitement, l'Amérique et l'OTAN profitant du cessez le feu pour s'armer au maximum, les aveux tardifs de Merkel et de Hollande sur leur volonté exclusive de tromper le pigeon afin de se réarmer ne confirmant que l'évidence: il n'y avait pas de vrai accord et les intentions étaient claires. A partir de là, on se prépara et proposa une ligne rouge évidente à la cantonade: des accords de sécurité, excluant l'Ukraine neutralisée de l'OTAN, avec un partage clair des responsabilités de maintenir la paix entre puissances nucléaires comprenant leurs soucis mutuels respectifs. 

Balayées avec mépris, les constituants de la ligne rouge firent que celle ci fut franchie, ce sera la guerre. Un gant en forme de défi à l'Occident fut alors jeté dans la sale gueule du gâteux Biden. On appela cela "invasion russe" et "violation du droit international", sur un ton de plaisanterie cynique, celui qui se vautre dans le sang et la merde de centaines de milliers de cadavres. Ceux là furent ceux des pays et peuples écrasés par les aventures américaines de ces 80 dernières années et ceux-ci ne sont qu'Ukrainiens: malheur aux victimes de l'histoire, cette terre-là tire sans doute sa fertilité des cadavres que l'histoire y a laissé, et continue d'y laisser. Jusqu'au dernier ukrainien, comme on dit. 

Un tentative de négociation fut évitée par force et de justesse par les occidentaux, le deuxième coup de poker pourtant faillit marcher. Encore une occasion et donc une ligne rouge de franchie, ce sera aussi le sud de l'Ukraine puis les tirs de missiles depuis Odessa organisés avec l'aide des US, autre ligne rouge en date, feront que la ville en question fera partie du lot à prendre, c'est maintenant décidé et quasi certain. Les lignes rouges, vous dis-je.

Entre temps, la rupture de toute négociation, de toute considération pour un quelconque intermédiaire, allant jusqu'à vexer la Chine, scelle l'isolation complète des parties prenantes, maintenant engagées dans une guerre qu'on peut dire "totale" (à la Bruno Lemaire). Le dollar va cesser d'être utilisé pour les ventes de pétrole au reste du monde, au bénéfice de la monnaie chinoise qui vient de faire une entrée fracassante dans un nouveau monde qui devrait faire une place plus petite aux Etats Unis d'Amérique.  Cette ligne rouge là est maintenant franchie et les US sont dores et déjà sur une trajectoire obligée: leur dette sera-t-elle soutenable avec cette réduction là de l'utilisation de leur monnaie ? Pas à terme, et le besoin d'une victoire, puis d'une récupération de la situation devient criant, de fait "existentiel". Une ligne rouge est posée, mais que se passera-t-il en cas de défaite ? Là se situe des inquiétudes variées, et il faut le dire justifiées. 

On doit aussi parler du gaz européen. L'Allemagne, à moins de réorganiser ses investissements industriels dans des zones où l'énergie est disponible, ne peut pas, en l'état, rester en Europe aux niveaux de consommation de gaz d'avant guerre. Le drame est prévu pour cet hiver: pour se chauffer, il faudra arrêter de produire. La première année de guerre eut un hiver doux, la deuxième devrait consommer des économies. Quelle ligne rouge franchie imposera la soumission et la reconstruction des gazoducs ? A moins qu'on ne s'achemine, alliances oblige, vers l'inéluctable, les existentiels occidentaux s'additionant, ira-t-on vers le catastrophique ? 

En conclusion, la ligne rouge n'est pas fixée  à l'avance de manière "féminine" de manière à exciter et à provoquer son franchissement sans que cela ait de conséquences. On pense à l'interdiction de l'utilisation d'armes chimiques par les syriens, violée sans conséquences, en plus la preuve était un faux... Ce genre de conception de la chose n'a pas d'existence et correspond à des fantasmes géopolitiques de journalistes à destination du grand public, une manière de parler. La ligne rouge est une condition implicite communiquée par l'attitude et participe d'une confrontation, dont les coups à venir restent secrets tout étant manifestement possibles: les adeptes du combat comprendront la chose et les coups ça fait mal.

C'est d'ailleurs l'une des caractéristiques fondamentales de tout combat et de toute guerre: le coup assenné se situe toujours dans une gradation, cela dans le temps et dans l'espace. Dans le temps car un coup suit un autre avec des intervalles dont la durée se planifie ou s'anticipe. Mais aussi dans l'espace: un coup est toujours porté sur une partie du "corps" de l'adversaire. Economiser là, c'est anticiper soit un repos de cette zone, soit une attaque prochaine précisément en cet endroit. La gradation est une évaluation pour chaque zone de l'intensité des frappes. Certaines zones sacrées ou habitées par des civils peuvent être épargnées et cela mutuellement, même dans des combats à mort. Ou pas, et ces conventions là peuvent évoluer à certaines occasions et suivant les circonstances. C'est là que se situent les lignes rouges, fractures essentielles des conditions d'exercice des souffrances qu'on s'inflige pendant les conflits. 

Il faut noter que le combat n'est pas toujours rationnel avec ce niveau de dialogue là, implicite. Il peut devenir irraisonné et obstiné sans limites, cela soit du fait de la structure même de tout conflit (la fameuse montée aux extrêmes qu'on dit irréfragable) ou du fait du dérapage d'une partie, qui peut à l'occasion celler sa perte, du fait du caractère innacceptable de son attitude qui peut justifier des coalitions gagnantes contre lui. On pense à l'intransigeance de Napoléon contre Alexandre, ou à la déclaration de guerre de l'Allemagne aux USA juste après Pearl Harbour. On pense aussi à la folie gazière européenne contre la Russie. Il suffisait de payer en roubles et de continuer à développer sa puissance industrielle avec l'aide de la Russie, tout en armant l'Ukraine. Continuer à acheter le gaz russe et imposer cette stratégie aux USA était le devoir des dirigeants européens. Cette ligne rouge là, l'entrée dans une guerre "totale" est une erreur, ou une soumission à vraiment plus puissant. Il n'y aura donc plus vraiment de limites à la menace contre l'existentiel russe et qui pourra réparer la fracture entre l'Occident et le reste du monde ? Une ligne rouge sépare les deux parties du monde. 

Sans menaces, ni "négociations", l'Occident s'est donc mis dans la seringue d'un destin qu'il ne pourra plus modifier et qui va lui tomber dessus sans même que son déni puisse se dissiper: honte et misère. Fallait pas pousser mémé dans les orties, ce qu'il a fait. Subit, salope, et crève. Voilà ce que le monde dont je suis issu a réussi à organiser, contre mon avis, et c'est trop tard. Bye. 

 

 

 

 

(1) L'interview de Renaud Girard qui détaille le sujet (33:00). 

 

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