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  • Les cartes du chanoine

    Fasciné par la question, il me faut revenir au déclin du christianisme en France. On partira du livre qui en parle, et qui attribue tout le mal au concile Vatican 2 mais pas que, l'historien Guillaume Cuchet étant subtil et en fait très fort, un modèle d'intellectuel et d'historien. 

    En partant d'une carte établie en 1947 et qui mesure la rupture peu après 67, juste avant 68, on a pu voir le saut gigantesque que fit la société française à cette époque. Y a pas que De Gaulle qu'il faut regretter... 

    D'abord les chiffres. 

    En 14, les 3/4 des missionnaires dans le monde étaient français. Le voilà l'universalisme et voilà pourquoi on vient chez nous: on les a formé pour ça. 

    1960: 95 % des enfants sont baptisés dans les 3 mois, en 2010, 30% dans les 7 ans. 

    1960: 25% des adultes vont à la messe tous les dimanches, en 2019, 2% 

    En 1872, on demanda aux français s'ils étaient catholiques: 97,5% répondirent oui. 

    2019 : 18,5% des prénoms donnés sont musulmans, 1% en 1950.

    2019: 65% de la population est "sans religion". 

     

    D'abord la carte du chanoine, identique à celle de la constitution civile du clergé: c'est toute l'affaire, et l'étiage se mit à diminuer drastiquement dès la moitié des années 60. L'affaire était que les zones déchristianisées existaient déjà et que le phénomène de l'abandon vient de loin. Le chanoine dont la première carte datait de 47 et qui observa une grande stabilité pendant vingt ans, vit les courbes plonger avant sa mort en 77, et même avant 68.

    67: le maigre n'est plus obligatoire et les poissonniers perdent 30%. La réforme liturgique commence en 64.

    Un point: ne pas aller à la messe c'est se mettre en état de péché mortel. La pratique religieuse était obligatoire et le respect du à Dieu, essentiel. C'était en gros le point que j'avais souligné déjà: le culte est d'abord dirigé vers Dieu, et l'absence de référence à celui-ci est essentielle. L'âge de raison, c'est celui du début de l'obligation de la messe. 

    Le point d'après c'est la pénitence, abandonnée autour de 70, elle était de 15% une fois par mois. Comme si le péché avait subitement disparu ou du moins n'avait plus de rapport avec l'au-delà, si celui-ci était maintenu par ailleurs. 

    Et puis, Cuchet en parle, un texte conciliaire sur la liberté religieuse, qui bien que frappé du bon sens, évoque le possible tri entre les dogmes et initierait donc la destruction du bloc, qui ne pouvant plus être imposé globalement, se fissura entièrement. 

    Bref, le reproche envers le Concile, le fait des catholiques intégristes, rejeté massivement bien sur, fait bien état de la coïncidence : dès 64 la nouvelle liturgie est introduite et ça commence à plonger. Toute une culture fixée du devoir s'effondre, et le premier signe est la crise des vocations inaugurée dès 68, tu parles, 15% du clergé disparait brutalement. 

    On ne se lasse pas de s'interroger sur ce séisme subit et sur la nature de ce qu'il y avait "avant". D'abord, on doit savoir que bien des fidélités ne l'étaient que de circonstance ou de sociabilité, voire carrément duplices. Si l'on se lança dans une telle réforme, n'était ce pas que bien des gens en avaient envie ? Simplement, en l'absence de démocratie on négligea le peuple et celui-ci se détourna du principe... 

    Cet oubli, ce dédain brutal n'est-il pas ce qu'on peut observer pour d'autres institutions, ou que l'on pourrait redouter ? Le déniaisement délie deux fois: de la pudeur officielle et de la pudeur privée. Cesser de "pratiquer" fait gagner du temps.

    Bien sur, il y a le transfert du sentiment religieux dans d'autres pratiques et Charles Taylor, le demi dieu Canadien parle de "supernova spirituelle". Y aurait-il un avenir à cette chose que l'on semble regretter, au point qu'elle constituerait une réserve d'énergie incommensurable prête à servir à un certain moment ? A part l'espoir d'un "que ça pète", on ne voit pas les contours ou l'expression de cette explosion, pour l'instant trop douce et trop vague pour servir à quoi que ce soit, à part alimenter peut être les délires du Vegan, seul fanatisme authentique issu des délires écologiques. 

    On pourra aussi parler du fanatisme islamique, qui illustre finalement dans sa pauvreté l'essentiel de l'activité humaine consacrée au religieux: l'obsession du divin, seule chose intéressante. On a finalement beau jeu de moquer l'absence d'amour et de social dans l'islam: c'est qu'il s'est consacré, mystiquement à l'essentiel, le Dieu unique en l'occurrence, toutes les autres théologies n'étant que variantes d'organisation sociales. Eux choisirent celle des nomades en guerre de l'antiquité finissante, tant qu'à faire. Ils semblent savoir (la force des brimades physiques, rien ne vaut les coups de bâtons et les différents assujettissements des rituels obligatoires) que lâcher ce point là est la fin de tout, et c'est pour cela qu'ils nous méprisent. Eux aussi seront-ils victimes de l'infâme sécularisation? Comme séculariser une tyrannie impitoyable ? De ce point de vue, l'islam est DEJA sécularisé et voilà le résultat ! 

    Le résultat en question, pour ce qui concerne les chrétiens, et d'ailleurs souligné par Cuchet lui même, se produit dans le temps. On en vient à voir disparaitre les derniers chrétiens du temps de jadis qu'ils aient été parties prenantes de la réforme ou non. Puis nous disparaitrons aussi et il ne restera rien, la chose aura disparu complètement. Cuchet, spécialiste du XIXème siècle parle de l'étrangeté des sentiments personnels évoqués par les auteurs de cette époque (3). Nos enfants n'auront donc plus aucune espèce d'idée de la chose qui occupa tant leurs ancêtres.

    La clôture de la conférence est assez saisissante : l'homme est libre et finira comme il voudra... Une allusion profonde au fond de l'affaire telle que pensée par certains. L'image révérée de Dieu serait la seule représentation possible du bien final des hommes et la seule justification possible des sentiments et actions véritablement élevés. Son abandon délibéré, signification même du "péché" conduit l'humanité à son abaissement et justifie son besoin d'être sauvée, qui lui demeure, par contre. 

    Cette histoire bien construite et centralement inattaquable échoue devant l'indifférence mais peut être pas contre la prétention à une morale supérieure qui ne serait pas divinement construite. Car les plaintes des athées réactionnaires au sujet de la fin du monde prochaine causée qui par le climat, qui par les migrants est réelle. Le besoin du salut est présent et la solution raisonnable si elle ne vient pas, tout comme un Dieu silencieux, suscite bien des souffrances. Qu'est ce qui fait exister cette possible solution sinon un objet G, aporie et centre révéré qu'il faut bien considérer transcendant à moins de ne pouvoir penser son exploitation explicite ?

    Cherchons-le dans toutes les propositions faites pour mieux les déconstruire et vivons dans un néant courageux, qui ne souhaite pas la destruction mais la juge possible et qui s'en moque. Cela ne fait pas une boussole, il faut le dire, à part l'occupation qui consiste à commenter désolé toutes les tentatives possibles. Cela fait-il une sagesse ? Et faut-il que la sagesse soit utile ? 

     

     

    (1) La carte du chanoine Boulard: https://www.academia.edu/35762892/_La_carte_du_chanoine_Boulard_L_Histoire_no_443_janvier_2018_p_72_77

    (2) le comité ad mémoriam: Delfraissy et Chauvin https://www.ird.fr/creation-de-linstitut-covid-19-ad-memoriam

    (3) Conférence Janvier 2020 https://www.youtube.com/watch?v=sjWA43_7w5k