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  • Les islams et les islamismes

    À l'occasion de la prise de parole d'une philosophe franco algérienne, Razika Adnani (2) d'utiles réflexions sur le sens des mots et sur ce qu'on doit en comprendre. 

    "Islamisme" est un mot chargé et comme bien des significations qui transitent dans l'histoire, vit son sens renversé. À l'origine équivalent à islam (on pouvait dire mahométisme, comme on disait christianisme) il fut transformé en "islam politique" ou pire "islam caca" au début des années 80, et cela par tout le monde et là cela est devenu intéressant, car il y a plusieurs camps, porteurs d'histoires différentes et utilisant les mots et le sens des mots pour peser sur les représentations. 

    La thèse

    En gros, le sinistre François Burgat, le frère français, affirme avec d'autres que l'islamisme au sens de forme dévoyée par des criminels de la religion de paix n'est qu'une pathologie issue de la colonisation, une maladie réactive des populations opprimées et que tout est de la faute du blanc oppresseur. Cette forme dévoyée n'a rien à avoir avec l'islam des origines, pur et vertueux. La thèse "l'islam n'a rien à voir avec l'islamisme", à proprement parler frériste, a deux intérêts, en fait trois. 

    D'abord elle innocente l'islam qui peut rester ce qu'il est, tout son "négatif" étant projeté à l'extérieur, laissant l'orthodoxie connaisseuse en place qui plus est, purifiée de tout reproche. La théorie de l'islam devient théologie, le classicisme musulman pouvant au nom de ses traditions réaffirmées lutter contre l'hérésie. 

    Ensuite, elle justifie l'innocence réaffirmée par les "blancs" devenus dupes: trop contents de résoudre un conflit latent bien problématique ils proclament avec énergie l'affirmation qui les dédouane de tout racisme ou islamophobie: l'"immense majorité" des musulmans est innocente de tout, et leur religion se trouve donc considérée pure, et pourquoi pas laïque, toute la vilénie étant expulsée dans le crime, au sens pénal du terme: le méchant est donc individu, exceptionnel et rééducable au sens occidental du terme. Un vrai bonheur, on s'en occupe. 

    La troisième utilité de la thèse est de réaffirmer en plus de consolider, la théorie décoloniale: le mal est non seulement issu du blanc, mais en permanence recréé par lui: c'est l'islamophobie qui suscite l'islamisme dit radical et lutter contre le mal consiste à lutter contre ce qui le dénonce à tort ! 

    Maintenant, la thèse est ancienne: on prétend même que la fondation des frères musulmans (1925) suivit de peu la publication du célèbre livre d'Abdel Raziq et que cela n'est pas un hasard ! 

    L'islam "politique"

    Cette notion d'islamisme ou "islam politique" comme on le dit trop souvent est minée par les deux acceptions mélangées du mot "politique" en Occident. Le politique est assimilé à l'organisation sociale et non pas exclusivement, comme on le devrait, associé à l'expression différenciée des volontés: victime de la notion exclusive de "démocratie", on imagine que le politique consiste à gérer, sans conflits, la société. C'est le contraire: l'organisation sociale est une chose qui s'établit, fait l'objet de traditions, et dépend de choix complexes qui mettent en jeu des forces collectives elles-mêmes complexes. Le "politique" est ce qui pèse sur ces choses, et qui au minimum souhaite disposer du pouvoir, pouvoir qui s'exerce sans forcément vouloir changer quoi que ce soit aux choses... 

    Les sociétés du monde islamiques ont très tôt différencié pouvoir et société, et donc politique à proprement parler et religion: le califat, même s'il est fonction de lieutenance de Dieu sur terre, ne fixe ni ne décide des interprétations de la religion et n'est ni prêtre, ni prophète: il exécute et doit respecter la loi religieuse fixée par un pouvoir autre, dont il est séparé. Cette distinction, effective dans la théocratie saoudienne par exemple, est parfaitement nette: le pouvoir des Séoud est depuis l'origine au XVIIIème siècle, issu du partage des choses avec les descendants d'Abdlewahhab. 

    Par contre, comme orthopraxie, la religion islamique oblige la société à vivre selon les préceptes ritualisés d'une religion dont le contenu est formé en grande partie (ou en fait pratiquement tout) d'une ritualisation de l'activité humaine, qui doit s'interroger en permanence sur le caractère licite de la moindre action. Nulle politique là-dedans, bien sûr: juste l'attachement à une vie particulière, celle qui est conforme à LA religion. Par contre, c'est bien toute l'organisation sociale qui se met à dépendre de la religion et de son cadre "juridique", la loi étudiée par l'autorité religieuse étant de manière ultime loi "de Dieu", le divin étant seule source ultime de tout droit. Nulle décision humaine, nulle autorité humaine qui légitime ce qui n'est que d'origine divine, et donc nulle "politique" là dedans. 

    L'appellation "islam politique" ne peut donc, du point de vue islamique, avoir une signification autre qu'une prétention "hérétique" que l'on peut aisément rejeter d'un point de vue théologique. Nul n'est moins politique que le musulman orthodoxe. Rien à voir entre islam et islam politique. Mieux, les premiers "politiciens" de l'islam, les kharidjites, furent ceux qui rejetèrent l'accord de paix entre Ali et Muhawiya. Au nom de leur fanatisme, depuis rejeté par tous (ou plutôt par certains), ils furent quasiment à l'origine de la grande fitna qui eut l'occasion de se développer magnifiquement. 

    A contrario, l'affirmation morale des règles religieuses permet d'introduire ce qui est à l'origine philosophique et idéelle de la question islamique: au-delà de la révélation du divin et de son autorité sur l'humain, il y a la question de la suite de la révélation et de ce qui doit la maintenir vivante dans le réel: la "politique" divine est celle qui s'assure de la moralité du monde, et s'y intéresser ne peut être que louable. L'associer à la vilénie démocratique partisane n'est pas concevable dans le monde idéal de la religion. De ce point de vue, l'islam "politique" ne peut être critiqué en lui même, bien au contraire: il est marque de la supériorité de l'idéal islamique sur l'idéal conflictuel occidental qui s'est privé de la moralité essentielle de l'acte de régler la vie des hommes. Seul Dieu peut rendre le politique vertueux. 

    Cette revendication est revendication d'une solution au problème de l'humanité, et cette affirmation et aussi cette conviction est centrale dans l'affirmation de la foi islamique. 

    Tout au politique et rien au politique, voilà ce qui traine derrière l'identification de l'islamisme à l'islam dit "politique", alors qu'on parle de tout autre chose. 

    Le conflit des civilisations

    Dénoncé comme raciste, violente et hostile au vivre ensemble, la thèse du conflit des civilisations, citée comme exemple repoussoir des thèses de l'"extrême droite" et donc quasiment appel à la haine de nos concitoyens de confession musulmane fait tout de même référence au corpus de ce qui différencie les mondes musulmans et occidentaux. 

    Au-delà de son caractère essentiellement géopolitique, la thèse fait référence et c'est ce que nous dit Ad(é)nani (3), à au moins trois ordres de différenciations: 

    - les valeurs : y a-t-il égalité universelle entre les humains, entre hommes et femmes, libres et esclaves etc ? 

    - la religion : inclut-elle les pratiques sociales obligatoires, ou peut-elle se réduire à une spiritualité individuelle ? 

    - les lois: sont-elles discutées et décidées par les hommes ou bien ne peuvent-elles être que d'origine divine? 

    Force est d'admettre que sur ces trois points, les deux ensembles culturels, au moins du point de vue des traditions, diffèrent sensiblement, même si les origines civilisationnelles sont de ces points de vue assez comparables. Les origines chrétiennes du monde occidental par exemple, montrent que sur ces trois points, traditionnellement, les différences ne sont pas si manifestes... On n'a séparation sur ces questions qu'assez récemment, ce qui a conduit à la radicale séparation n'étant qu'en germe, et sur des points discutables et discutés, avec les caractères particuliers du christianisme, par ailleurs aussi responsables (forcément) de la puissance militaire et économique supérieure qui conduisit à la défaite finale du monde islamique dans la fameuse guerre...

    Ainsi donc un conflit ouvert, récent, et postérieur à la victoire qu'on aurait pu croire définitive. De quoi en rendre responsable l'Occident, donc et après tout, que lui a-t-il pris d'inventer tout ça? D'autre part, ce traditionnalisme forcené, pourquoi serait il obligé de muter ? 

    Comme l'explique Adnani, il y eut une tentative de modernisation,  la fameuse Nahda et il y eut même un Abderraziq pour vouloir séparer islam et politique au niveau des grands principes. Mais las, tout fut arrêté dans les années 60: un grand retour se fit jour et  les femmes musulmanes se re-voilèrent. Déçus par les défaites contre Israël et par les "dictatures" (la syrienne vient de tomber) les musulmans se sont réfugiés dans leurs traditions. Toutes ? Non et là Adnani ne semble pas élaborer, ces traditions retrouvées furent réinventées et par des gens particuliers: la réislamisation fut pilotée, et une idéologie particulière est à la manoeuvre partout. 

    Et puis, Ad(é)nani n'attige-t-elle pas un peu avec sa "réforme" de l'islam ? Cela sans mentionner l'islam sunnite et ses traditions, pourtant déclarées immuables par tout le monde musulman et dont le contenu est rien moins qu'atterrant. 

    Discours explicites, repris par tous, établissant la possibilité, déclarée divininement licite de la sexualité avec des mineures, de l'esclavage, de l'amputation des voleurs, de la condamnation à mort des apostats : tout cela est là devant nous, et rien ne l'abroge ni ne le regrette. On se contente d'en susprendre les applications, d'en complexifier l'identification des cas justiciables de, de regretter l'existence de lois temporelles mécréantes ou étrangères qui retardent la venue  du paradis sur terre etc etc. L'entièreté du corpus immuable déclaré divin reste là. Faut il et peut-on suspendre cette attribution à la divinité de la souveraineté éternelle et du caractère sacré, divin et incrée du texte et de ses conséquences admises par tous pendant quatorze cent ans ? Moi je crois que non. 

    Le Voile 

    Emblème de l'islam conquérant et théorisé comme tel par les frères, au point de rendre peu crédibles les passionnées de pudeur libres de leurs corps et de leurs oripeaux, le voile a lui aussi une histoire. D'abord assyrien, il fut chrétien (Saint Paul était un peu misogyne), puis utilisé pour différencier les esclaves et les prostituée (pour qui il était interdit) des femmes de bien. Les frères veulent obliger leurs soeurs à habituer les petites filles à se nipper ainsi, pour que leur adolescence se passe bien sans doute... En tout cas, le musulman moyen ne peut que déplorer la funeste loi de 2004, en termes navrés bien sûr, se plaignant de la France qui n'a rien compris à la liberté. Moyen? Mouais, sous influence frériste, oui, c'est LE combat européen de l'organisation et qui alla jusqu'à réussir à faire éditer des affiches glorifiant des jeunes filles bondissantes affirmant la liberté de leur choix de hijab roses et verts, for différents des ignobles torchons caca d'oie dont se recouvrent les désespérantes greluches bigotes qui polluent nos rues. Sans parler des footballeuses et des baigneuses en combinaison, expressions hideuses et lamentables d'un entrisme mortifère qui signant par là même sa nocivité, devrait être barré par définition. 

    Les dévoilées sont torturées et emprisonnées en Iran, pays qui commence à manifester sa haine de l'affreux déguisement, les "corbeaux" décrit par les hadiths parlant ainsi des femmes Quraychites. 

    On évoquera avec la dame ce qu'évoque la recherche de "pudeur" prétendument attachée au port du chiffon: comme si la conception de l'humanité masculine de la doxa associée était très pessimiste: animal et incapable de se maitriser le mâle de cette culture ne peut vivre que privé des stimulis public associés au sexe sous peine de craquer et de manifester sa puissance violente à tous les coups. Une bête en rut à canaliser soit par la cage aux folles, soit par le fouet de lois impitoyables. Paradoxalement en ligne avec une certaine conception pirate de l'humanité et surtout des abominables descriptions racistes des orientalistes des siècles passés, unanimes à considérer le maghrébin et l'arabe comme d'une sexualité exagérément génitale. On rappelle que la poésie sentimentale arabe traditionnelle parle exclusivement de sexualité avec des esclaves, dont la séduction prostitutionnelle transgressive se compare difficilement avec les romans décidément très à l'eau de rose des troubadours occidentaux, soumis aux émois inspirés par d'inaccessibles grandes dames. Mais cette image racialisée de l'arabe paillard, comme elle contraste, ou s'accorde avec la nécessité absolue de la pudeur des dames, dont la moindre défaillance en la matière provoque le retour de la bête... 

    Les islams

    Le fond de la critique de Ad(é)nani porte sur la distinction entre le Coran révélé divinement et en gros le reste disons la Sunnah pour faire court, qui est d'origine humaine dans les faits et l'histoire MAIS qui est prétendu d'origine conforme à la suite de la révélation, pour faire court, les "dires" du prophète, les hadiths, quoi, qui selon elles, il suffirait de réécrire...

    Bon on résume: l'islamisme c'est 1) ce qui prétend que l'islam n'a rien à voir avec ... lui 2) ce qui prétend que le port du voile est un choix libre. C'est simple, finalement. 

     

     

    (1) interview de Razika Adnani https://www.youtube.com/watch?v=6riZkCqptPU

    (2) sa fiche wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Razika_Adnani

    (3) les consonnes redoublées issues de l'Arabe se prononcent en rajoutant une voyelle, on dit "ib(è)ne Kaldun", "Taf(é)sir" etc ...