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  • Les bêtises

    À l'heure où certains font des traités sur la bêtise (1), en l'identifiant à ce que l'on veut éviter qu'on dise de soi, il est temps d'y mettre mon grain de sel. 

    D'abord, elle n'est pas une opinion ou un projet, on ne peut définir la bêtise comme "l'intervention américaine en Irak", mais une caractéristique provisoire ou limitée d'un individu suivi ou non par un groupe influencé par un autre groupe, lors d'une décision ou d'un discours. 

    Identifier bêtise avec "dépendance de l'Allemagne au gaz russe" est ainsi totalement faux, hors sujet, hors de propos et par conséquent, (j'y vais directement) une preuve de bêtise caractérisée de l'auteur de ce jugement. On a là l'exemple caractérisé du jugement de groupe, porté par une doxa, influencé par un autre groupe, par forcément bête d'ailleurs, et dont il est difficile de se départir: mélange de fait et d'opinion, le jugement semble évident et se trouve renforcé par son affirmation même: ce qu'il dénonce à tort est "exemple" de bêtise. 

    Évidemment dans l'intérêt de l'Allemagne, car disposer d'une source d'énergie à bas prix dans un monde pacifié lui fut immensément profitable presque vingt ans, le gaz russe fut une stratégie géniale qui installa l'Allemagne au centre de l'Europe et "fit" l'Europe économique malgré (mais peut-être, et peut-être surement fut voulu) l'abaissement du reste de l'Europe, forcé à devenir clients forcés et partenaires soumis. La bêtise fut bien sûr de s'y soumettre bêtement, et accuser son bourreau de méchanceté ne change pas le rôle de la victime, qui aurait pu défendre son énergie nucléaire, par exemple, en refusant de subventionner la distribution d'un gaz dont on n'avait pas besoin. 

    Surtout que la bêtise se redouble, du point de vue de la victime: le scandale interrompu, qui effectivement précipite la "bête" Allemagne dans la difficulté, fait s'effondrer la prospérité européenne sur qui s'était arc boutées toutes les dettes du reste des pays soumis, brutalement mises aussi en défaut, les gênant au moins autant que leur patron. 

    La dénonciation de la maladresse de celui-ci culmine ainsi au sublime !  Je résiste à employer le mot "connerie", tant il est insuffisant pour désigner ce mélange de prétention satisfaite, de confirmation pseudo factuelle de théories informulées, et de satisfaction explicite de porter ce jugement suicidaire et inutile qui justifie le pire, c'est-à-dire le crime toujours irrésolu qui détruit l'Europe, il faut bien le dire, on le voit, on le sait. 

    La bêtise est-elle une cause ? Sans doute pas: on a ici, une expression de justification, la cause étant la volonté qui a mis soit-disant en lumière cette bêtise, c'est-à-dire l'attentat, c'est-à-dire la volonté américaine de mettre fin à un avantage industriel indéniable en mettant en avant ses propres productions gazières. La bêtise est ainsi attitude a postériori, posture de déni et de contentement malgré l'offense, son propre étant bien sûr l'aveuglement, le jugement stupide étant ce qui le manifeste et le rend visible. La bêtise comme habillage du déni, ce qui en plus se dénonce soi-même.

    Et puis la bêtise n'est pas non plus présente partout. On peut s'interroger sur l'affirmation véhémente de la nécessité et de l'inévitabilité de l'immigration en cours, justifiée par des raisons humanitaires ET par des raisons économiques, le vrai prétexte (le paiement des retraites de nos nombreux vieux par de nouveaux jeunes) étant à cheval entre les deux d'une manière complexe. On pourrait croire (surtout que ce paiement des retraites n'aura pas lieu, l'immigration en cours n'étant pas suffisante quantitativement pour se faire) qu'on a affaire au complexe de la bêtise, mais non: l'évidence affirmée ici est volontaire et décidée et constitue une opinion, discutable certes, mais pas soumise à l'évidence du déni imbécile. À moins bien sûr qu'on ne considère évident le caractère légitime de l'égoïsme ethnique basique, commun à toutes les parties de l'humanité, et que l'opinion en question se refuse à assumer, moralité oblige et la volonté explicite, motivée par ce qui reste du religieux chrétien, est claire. La bêtise serait donc là: dans la renonciation à l'évidence, et dans l'interposition acharnée de tout ce qui traine comme voiles plus ou moins transparents devant la nudité du corps même de nos vies, nié avec la pudeur dingue du gluant absurde. 

    Ce n'est pas en riant sarcastiquement qu'on abattra cette volonté-là et cette bêtise-là, c'est en la brisant par la violence. Je m'égare. 

    Un autre exemple est bien sûr tout ce qui tourne autour de l'éolien en France. Assise sur un programme nucléaire quasiment séculaire capable de produire toute l'électricité nécessaire à un pays moderne, la France pouvait se livrer aux gaspillages variés propres à son caractère, protégée par la géniale obstination de ses ingénieurs. Cela fut détruit en trente ans de propagande tout aussi obstinée, provoquant le fol développement d'un programme de substitution imbécile incroyablement couteux: 300 milliards d'euros d'investissements absurdes, pour un système dispendieux, soumis à un fournisseur de gaz, aujourd'hui américain et cher. Où est la bêtise ? Elle est comme expliqué ci-dessus dans la justification de tout cela, donc dans sentencieuse obligation assumée de sauver la planète, en assumant sa faible utilité dans la chose, justifiée tout de même par la double stupidité de "prendre sa part des problèmes du monde" et aussi d'assumer sa consommation des objets produits à pas cher en Chine du fait de décisions qui ne furent pas les nôtres. Là encore, le "prendre sa part de responsabilité", sentiment (et manifestation) féministoïde imbécile contre nos intérêts mêmes, exprime et traduit la fameuse bêtise, étincelante et morale justification de la décision non pas imbécile (c'est le jugement de justification qui l'est) mais délibérée.

    Car la volonté d'arrêter notre prospérité industrielle, jugée coupable, est bien ce qui est à l'origine de ces folies (folies selon moi, bien sûr). Cette volonté n'est pas bête, mais suicidaire: la haine de ce que l'on est mène à la détestation suprême et l'envie de se transformer entièrement, donc de mourir. Cela n'est pas bête, mais tragique, et effectif.

    Bien sûr, on pourrait aussi incriminer la bêtise dans la décision elle-même, dans le sens où elle fut prise et aussi acceptée par des dirigeants animés ensuite par les jugements décrits plus haut. Pourtant, lors de la prise de décision, ce sont surtout des phénomènes de suivisme ou de déresponsabilisation à l'intérieur d'institutions englobantes qui animèrent l'absurde, la bêtise n'intervenant qu'après au niveau de sa justification. On devrait plutôt parler de bêtise collective, l'incapacité à mesurer le danger pouvant lui être attribuée. Cette notion est d'un niveau supérieur: comment un pays entier peut-il devenir "bête", et quel est ce concept sociologique là ? 

     

     

     

     

    (1) Olivier Postel Vinay  Homo Cretinus